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Opinions idiotes

30 avril 2008

LA TERRE EST PLATE, DORENAVANT

En Irak il y a des Arabes et des Kurdes, aussi des Chaldéens. Certes, mais les Arabes se divisent en deux confessions, chiite et sunnite. Tout comme les Kurdes, lesquels se répartissent entre ces deux confessions antagoniques. Encore que l’antagonisme chiite/sunnite est surtout virulent chez les populations arabes, les populations kurdes plaçant l’appartenance ethnique au-dessus des divisions confessionnelles. Toutefois les Kurdes eux-mêmes sont soumis à l’intense rivalité entre leur deux grands partis politiques, Parti démocratique et Union patriotique, lesquels administrent chacun une moitié du territoire de la Région autonome kurde, qui elle-même ne couvre qu’une partie des provinces de peuplement kurde. En Irak il y a des tribus, qui transcendent les appartenances ethniques. Mais tout le monde n’y adhère pas, en sorte que leur influence varie. En Irak les sunnites défendent un modèle d’Etat unitaire, les chiites un modèle fédéral. A la nuance près que la communauté chiite de Bagdad, ville où elle est minoritaire, opterait plutôt pour le centralisme alors que les chiites du sud apprécieraient le regroupement des provinces méridionales où ils sont majoritaires en une Région autonome. En Irak, certains mettront en avant l’identité nationale arabe du pays, d’autres l’appartenance confessionnelle, d’autres l’identité ethnique. D’autres mélangeront le tout. Ajoutez à cela des intérêts économiques et les tribus et vous vous retrouvez avec un monde incompréhensible vu depuis son canapé quand, au commencement, tout était si simple, quand il n’y avait que des Arabes et des Kurdes. Tellement qu’à force d’incompréhension on finit par ne plus lire les nouvelles en provenance de ce pays tellement compliqué.

S’il n’y avait que l’Irak à être pareillement compliqué, incompréhensible, mais le monde entier ressemble peu ou prou au pays des deux fleuves.

La Chine, par exemple, constitue un bel exemple de pays déplaisant. Les Chinois sont tous pareils, comme nous qui sommes tous Français pareil. Et voilà qu’on se met à nous bassiner avec les innombrables minorités chinoises, minorités des fois franchement minoritaires c’est-à-dire peu nombreuses et minoritaires dans les territoires qu’elles peuplent, mais quelquefois majoritaires dans leur province et nombreuses à millions. Voilà qu’on est contraint d’apprendre qu’en Chine les Chinois s’appellent des Hans. Sont nuls, ces Chinois. Au moins on se dira que les minorités sont opprimées par les Hans. Ce qui est vrai dans les ‘régions autonomes’ comme le Tibet où le Xinjiang peuplé de Ouïgours de confession musulmane pratiquant une langue turque, ‘régions autonomes’ n’ayant comme il se doit pour nous horripiler aucune autonomie, soumises qu’elles sont à des administrateurs représentant le gouvernement central —les provinces, dont il ne nous est pas précisé qu’elles sont autonomes, disposant de leur propre administration et gouvernement. Or, tous les Tibétains ne vivent pas dans la ‘Région autonome’ du Tibet, beaucoup vivent dans les départements frontaliers des provinces voisines du Setchouan et du Gansu. Ces provinces n’étant pas autonomes s’administrent donc librement, de même que leurs départements qui peuvent être administrés, là où les Tibétains sont majoritaires, par des Tibétains qui peuvent se montrer plus aimables dans leurs décisions vis-à-vis de leurs compatriotes tibétains que des Chinois Hans, lesquels, s’ils ne sont pas persécutés, peuvent se plaindre d’être défavorisés par leur administration départementale.

Tout cela ne constitue que l’écume des choses. Mais rien que cette écume fatigue. Plus on en connaît un peu sur les nations de la Terre, plus on se rend compte qu’on n’y entend rien. Surtout, plus on comprend qu’on n’y entendra jamais rien. Que le monde auquel nous appartenons est irréductiblement incompréhensible.

Plus la Terre s’aplatit et plus elle s’obscurcit. A tel point que la prétention à vouloir être informé de ce qui se passe dans le monde m’apparaît de plus en plus comme vaine. Regarder, écouter ou lire les actualités du reste du monde n’apporte que l’illusion du savoir dans la mesure où on ne comprend finalement rien de ce qu’on apprend ; tout au plus s’agira-t-il d’événements dont la connaissance satisfera l’ego mais qui n’ouvriront en rien à l’intelligence de la réalité infiniment complexe dont ils procèdent. C’est un peu comme la visite estivale des églises, où l’on voit des vitraux et des statues et tout un agencement architectural dont on sent bien qu’ils doivent avoir un sens, qui nous échappe ; finalement s’impriment sur nos rétines des symboles morts d’un monde englouti, le cerveau conserve un temps assez court le souvenir d’un agrégat indigeste de ces symboles morts, puis le brouet se dissipe le lendemain lors de la visite du musée de la bière ou le soir-même lors de la bringue. 

Mais le plus déplaisant n’est pas dans l’incompréhension irrémédiable du monde où nous vivons, c’est encore qu’il nous conduit à jeter un regard inquiet sur le pays de France qui est le nôtre. Si la France n’était pas ce monde homogène, ou tendant à l’homogénéité, qui se rêve. Et si, en France aussi, nous étions arabes ou kurdes ou chaldéens, ou sunnites ou chiites, ou kurdes chiites ou kurdes sunnites, ou intégrés à une tribu ou pas, etc. ? Si la France était aussi compliquée que la Chine et tous les pays du monde dont les nouvelles semblent tellement obscures ? Si la compréhension intuitive que j’ai de cette France qui est mon pays, n’était qu’une illusion ? Si j’étais finalement étranger à la complexité de ma propre nation ?

L'aplatissement de la Terre la rend plus obscure...

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25 avril 2008

A PROPOS DU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE

Les Saints de glace approchent, les salauds, c’est Jean-Pierre Pernaud qui l’a dit —que les Saints de glace approchaient, pas qu’ils étaient des salauds. Pendant ce temps les jupes raccourcissent en toute insouciance et les saisons disparaissent, sont toutes perturbées. D’ici à ce qu’on subisse un nouvel été pourri ! Ce serait vraiment la tuile à cause qu’on risquerait de cailler sous les toiles de tente et ça c’est mauvais pour le tourisme. Jusqu’aux truffes qui s’y mettent, qui rechignent à pousser dans les départements du Sud-Ouest et se développent, dans des proportions modestes, en Touraine et dans le Berry, même dans le bois de Vincennes à Paris, à cause ou grâce l’adoucissement du climat dans le Bassin parisien consécutif au réchauffement climatique global. Même dans ce qu’on nommait l’Outre-mer, à l’époque où les ducs de Normandie régnaient des deux côtés de la Manche, la météo se fait plus clémente, même que dans certains comtés de leur midi (pour le ‘midi’ de l’Angleterre une minuscule est déjà excessive) les Anglais produisent du vin, mousseux à ce qu’il paraît, parce que le climat actuel s’apparente à celui de la Champagne des années 70.

A titre personnel le changement climatique me déplaît en grande partie en raison de l’impossibilité rédhibitoire dans laquelle je me trouve désormais d’exprimer mon opposition ferme à l’intemporelle récrimination qui porte, génération après génération, sur ces fameuses saisons qui ne sont plus. Parce que dans le temps ce n’était pas comme ça, on avait des saisons, le calendrier des postes en faisait foi. Chez nous, du pays situé entre la Bresle à l’extrême nord-est et le Couesnon à l’extrême sud-ouest, c’est-à-dire, pour les Barbares, la Normandie, dans le temps, du temps où on était petit jusqu’au commencement où la lumière fut (dans une conception assez égocentrique de l’histoire de l’univers), on avait des vrais hivers et des vrais étés, puis des vrais automnes et des vrais printemps. Alors, celui dont l’enfance ne se situait pas encore ‘dans le temps’ et qui sortait du lycée, rétorquait que la Normandie est une région de climat océanique, partant instable avec un grand nombre de jours pluvieux, des hivers relativement doux et des étés relativement doux, également susceptibles d’être pourris. Ceux dont la jeunesse se situait ‘dans le temps’ pouvaient renvoyer le jeune idéaliste dans les cordes en rappelant la canicule de 76 et comment ça caillait dans les baraques, la preuve par l’expérience ! La dispute se poursuivait à coups d’arguments subjectivistes comme quoi la rigueur ressentie des hivers d’antan découlait de la mauvaise isolation des maisons, de l’absence de chauffage, du fait que, ‘dans le temps’, on passait plus de temps à l’extérieur qu’à notre époque où les hommes passent le plus clair de leur temps confinés dans des écoles, des bureaux, des usines, des magasins, des appartements ou des pavillons, des voitures, des bus ou des trains, etc. sauf quand ils se font dorer la pilule pendant 15 jours au mois d’août ou quand ils s’accouplent dans les bois ; comme quoi le souvenir de la Canicule monopolisait la mémoire climatique par son caractère exceptionnel, balayant tous les autres étés banalement doux-pourris comme le sont les étés normands la plupart du temps. L’idéaliste inexpérimenté pouvait encore argumenter : « si tu croises 100 supercinq de chez Renault dans la journée tu les oublies aussitôt mais si tu croises une Lamborghini tu t’en souviens », ainsi l’extraordinaire supplante l’ordinaire et finit par l’abolir pour devenir ordinaire, ainsi le discours construit par l’imaginaire recouvre la réalité, ainsi la réalité en vient à ne plus être que le discours porté sur la réalité, ainsi l’impression de réalité ne naît pas de ce qu’on perçoit du monde alentour mais des parcelles du discours que l’on identifie au sein de ce qu’on perçoit du monde alentour : c’est comme ça que les Juifs finissent par avoir réellement des doigts crochus et des gros pifs avant d’aller vérifier que réellement le travail rend libre.

Ne devenons pas les agents de notre propre aliénation, car ça peut nuire gravement à la santé. Et mettons fin au réchauffement climatique pour offrir aux enfants d’aujourd’hui la possibilité, dans une dizaine ou une vingtaine d’années, de vraies disputes constructives avec leurs parents nés dans les années 70 qui, logiquement, devraient commencer d’ici peu à constater que, décidément, « y’ a p’us d’saisons ».

21 avril 2008

LE CANCER DU TRAVAIL

Le cancer du travail existe-t-il ? Il faut lutter contre le tabagisme parce que cette pratique et ses conséquences tuent ses usagers encore jeunes et productifs tout en coûtant des sous à la Sécurité sociale et à l’Etat, ce qui est très mal comme on nous le répète assez régulièrement : pensons à tous ces cons qui se cassent la jambe en faisant du ski alors qu’ils auraient pu rester chez eux à jouer au solitaire, pensons à ce que ces irresponsables dépensent, font dépenser à la collectivité par leur attitude irresponsable ! Le cancer du tabac doit être combattu au nom de l’assainissement des dépenses publiques, accessoirement parce qu’il s’agit d’un problème de santé publique. Personne n’oblige les fumeurs à fumer en se tuant à petit feu de la même manière que personne n’oblige les skieurs à se casser la jambe, après tout qu’importe que les fumeurs meurent, l’insoutenable de la chose est qu’ils piquent dans la caisse à cause qu’on n’est pas des sauvages et qu’il faut bien les soigner, parce que laisser les gens souffrir c’est mal, quelque part c’est comme les faire souffrir soi-même. Inacceptable moralement. Et coûteux. Doublement.

Et le cancer du travail alors ? qui tue les gens à petit feu tellement petit que quand les gens décèdent ils ne travaillent plus, d’où le fait que nulle entité administrative ou ministérielle d’ordre hominoïde et qui sait qui sait ne l’ait jamais perçue, cette tumeur-là. Bénigne certes, sauf pour les zigomars amateurs d’esbroufe qui s’amusent à tomber des toits ou à manipuler des produits toxiques pour mieux se faire remarquer, qui se donnent en spectacle sur leur lit d’hôpital, sans compter les pompiers tout musclés qui traversent la ville ostentatoirement pour informer la population toute entière de l’exhibition de monsieur ou madame zigomar avec ses os tout cassés tout mélangés. Hors ces zigues pathétiques dans leur gloriole, les gens, certaines gens, meurent tout doucement, comme si leur existence médiocre était un réfrigérateur américain où le crabe les conserverait très longtemps pour mieux savourer leur viande, un petit peu chaque jour. Voici un brave crabe pas glouton pour un sou, un crabe fourmi soignant son insouciante proie comme l’héritier son portefeuille d’actions, comme le rentier son bas de laine. Louons l’animal biaisant pour son esprit de prévoyance, sans lequel l’économie tournerait beaucoup moins bien.

Car il est doublement efficace, le bougre de crabe fourmi. Sa prévoyance l’oblige à ne pas effaroucher le cheptel tout en rongeant, en toute discrétion. La dévoration d’un bestiau stressé, tout malheureux avec sa carne noueuse vraiment vomitive, comme peut l’être l’Homme des usines, honore la longanimité de notre agent dévoué à l’assainissement du corps social. Même si ça l’arrange bien, le crabe fourmi, de le manger, l’Homme des usines, du bout des lèvres, de lui sucer la chair sans qu’il y paraisse, à la manière des petits enfants leurs premiers bouts de pain ; même si ça l’arrange, le crabe fourmi, d’y aller mollo dans sa digestion lente et lente de l’Homme des usines indigeste, nous pouvons le louer de bon cœur pour sa discrète et trop peu connue, reconnue, action en faveur du respect par la France des critères de Maastricht, en faveur de la diminution des prélèvements obligatoires qui obèrent la croissance de l’économie.

Louons, louons le bougre ; louons sa longanimité. Sans elle il serait capable de renoncer à sa tâche, ou de la bâcler. Dans un sens comme dans l’autre cela nuirait à la seule chose qui compte : l’économie. S’il bâclait, il tuerait les gens en pleine productivité à l’instar de son ignominieux congénère le cancer du tabac : l’économie en pâtirait, les employeurs ne parviendraient plus à recruter, les entreprises péricliteraient ; et puis cela ferait mauvais genre, les gens, qui sont cons, se diraient : « à quoi ça sert de se tuer en gagnant sa vie ? quitte à crever autant crever les doigts de pied en éventail », parce qu’ils sont feignants les gens, ils ne respectent pas la valeur travail, ils travaillent que pour les sous parce que les sous leur servent à vivre, alors s’ils s’aperçoivent que les sous qu’ils gagnent en travaillant pour vivre les tuent, ils diront, ces cons et ces feignants et ces malappris, au brave homme conscient des réalités de ce bas monde qui cherche à les embaucher : « va donc, assassin, prêtre sacrificateur du dieu Labeur que je conchie, crever toi-même en ta soue méphitique méphistophélique », comme si on pouvait comparer l’entreprise capitaliste au lieu odoriférant où le cochon se vautre avec l’idée en sus que là serait un antre du diable —le tout dans un style pompeux qui sent un peu le dessous de bras.

Point ne faut peur aux gens faire, accroire leur faire que vieux ils vivront si dociles ils labourent pour des clous le champ du patron. Le crabe fourmi lambine à l’occire, l’Homme des usines, en fait il le circonvient tout doux tout doux et comme le colonise à pas de loup tout doux tout doux, comme à chaque journée de travail l’enserre un peu, un petit peu, un petit peu plus et l’accoutume à le détruire à chaque journée de travail, à chaque heure de travail, à chaque minute de travail tant et tant que notre Homme des usines ne se rend même pas compte, ou parvient à faire semblant de ne se rendre compte pas, qu’il se détruit lui-même en travaillant pour gagner sa vie, que ce n’est pas son pain qu’il gagne à la sueur de son front mais son crabe à lui qu’il nourrit de sa propre chair vive. Point ne bâcle ton œuvre, Monsieur du Crabe Fourmi, mais mange, mange, mange, à petites bouchées pour qu’au moment venu ton chef-d’œuvre s’accomplisse, en quelque sorte l’assassinat prémédité de l’Homme des usines parvenu à la retraite. Une fois dépassée sa date de péremption il est bon que l’Homme des usines crève et ne ruine les caisses de retraite, ne nuise à la compétitivité et à l’attractivité du territoire national dans le grand concours de bites mondial, ne déplaise à la Commission et à la Banque européennes gardiennes du Temple capital.

Les trois huit tuent.

16 avril 2008

VIVE LA FLAT TAX QUI SAUVE LA SECURITE SOCIALE

La flat tax est une expression barbare désignant une ‘innovation’ tout aussi barbare, puisque il s’agit d’un impôt à taux unique sur les revenus, taxant donc chacun au même taux quelque soit son niveau de revenus. En Europe la Slovaquie et surtout la Russie utilise ce modèle d’imposition des revenus. Concernant un pays comme la Russie où l’impôt progressif sur le revenu n’était plus acquitté que par les pauvres, les riches s’arrangeant pour frauder le fisc ou transférer leur argent à l’étranger, la création de la flat tax peut être considéré comme un progrès, même si elle est injuste. Si l’Etat n’a pas la force de prélever un impôt progressif taxant plus lourdement les hauts revenus et que ces derniers lui échappent intégralement, la raison plaide pour l’instauration d’un impôt à taux unique nécessairement bas, pour ne pas obérer les bas revenus, et pour inciter les fortunés à verser un peu de leurs hauts, voire très hauts, revenus à l’Etat plutôt que d’envoyer leur fortune à l’étranger. Pour cynique que cette mesure paraisse elle n’en constitue pas moins un accommodement raisonnable qui porte ses fruits, en Russie en tout cas, puisque le prélèvement de l’impôt par le fisc russe a progressé suite à cette réforme. Sur le long terme il est probable que cette flat tax permettra de rétablir un système progressif au fur et à mesure que l’Etat gagnera en force et en efficacité grâce à l’accroissement du revenu fiscal induit par la flat tax. Paradoxalement, l’injustice de la réforme de la fiscalité russe peut être considérée comme progressiste.

Il n’en est pas de même en Europe où les Etats fonctionnent, sont stables politiquement et disposent d’administrations aptes à prélever les impôts, cotisations et autres contributions. Certes, aucun Etat européen, hormis la République de Slovaquie, n’a formellement instauré la flat tax mais tous tendent à diminuer le nombre de tranches de l’impôt sur le revenu ; ainsi n’y-a-t-il plus en France que quatre tranches, ainsi lors de la dernière campagne législative polonaise voyait-on les conservateurs libéraux (les vilains jumeaux Kaczynski anti-européens) proposer le passage de quatre à trois tranches pendant que leurs opposants libéraux conservateurs (le gentil Donald Tusk proeuropéen) préconisaient carrément la réduction à deux du nombre des tranches de l’impôt sur le revenu, ce qui nous rapproche de la flat tax. Ces courageuses réformes menées d’un bout à l’autre de l’Europe n’ayant aucune relation avec les politiques de l’Union, tellement soucieuses du bien-être général. Aucun Etat européen n’applique un impôt sur le revenu qu’il appelle flat tax, hormis la Slovaquie donc, hormis la France également. Mais où s’est donc nichée cette flat tax à la française et d’abord comment se nomme-t-elle ?

C’est qu’elle est une toute petite chose, notre flat tax, à l’origine du moins parce qu’au fil des années et des changements de majorité politique la petite bête monte, monte, monte. C’est une petite bête anodine qu’on ne perçoit même pas. C’est une petite araignée nichée dans quelque anfractuosité invisible à l’œil humain et qui vaque, la nuit, se faufile sous les draps et délivre au dormeur quelques menues piqûres dont il ne prendra conscience qu’à son réveil. Notre petite flat tax à nous ne s’appelle pas flat tax sinon les gens protesteraient contre le gouvernement réactionnaire qui utiliserait cette source de revenu ; notre petite flat tax qui monte, monte, monte a nom Contribution Sociale Généralisée. Voilà qui en jette ! Et prélevée à la source, la petite bête, qu’on n’a même pas le temps de nous en rendre compte sur notre compte en banque que cet impôt à taux unique sur le revenu est déjà parti dans les poches de l’Etat ! Impressionnante l’entourloupe ! il fallait oser, ‘sauver les comptes sociaux’ du pays à l’aide d’un procédé qui fleure bon son Ancien Régime, car ce n’est pas à la portée de tout le monde de réussir le tour de force de justifier une innovation fiscale violemment injuste et franchement réactionnaire au nom du sauvetage de la Sécurité sociale dont le but est à l’exact opposé de celui de la ‘CSG/flat tax’ : redistribuer le revenu national afin d’atténuer les inégalités produites par l’économie capitaliste et non veiller à ce que ceux qui ont déjà beaucoup aient toujours beaucoup.

Pour notre malheur, la CSG ayant échoué à équilibrer les comptes sociaux, il a fallu se résoudre à de difficiles réformes, pour ‘sauver la Sécu’. Ce à quoi des méchants gouvernements de droite combattus par le Parti socialiste se sont attelés. Mais rendons à César ce qui appartient à César, aux socialistes ce qui appartient aux socialistes. En effet ce ne sont pas les tout méchants de droite qui ont instauré la flat tax française mais un certain gouvernement socialiste dirigé par un certain, je crois, Michel Rocard —le socialiste qui traitait les partisans du ‘Non’ au Traité constitutionnel européen d’analphabètes…Ainsi le premier gouvernement, bien avant ceux de Russie et de Slovaquie, à avoir commencé son saint œuvre de restauration de la fiscalité d’Ancien Régime agissait sous la présidence d’un certain François Mitterrand, sous le contrôle d’une Assemblée où la majorité des députés cotisaient à une organisation de gauche dénommée Parti socialiste. Mais c’était pour sauver la Sécu, comme le gouvernement actuel quand il rêve de transférer intégralement la prise en charge des lunettes, et pourquoi pas des soins dentaires, de la Sécurité sociale aux assurances complémentaires, pour commencer. La rhétorique est toujours la même, au PS comme à l’UMP, de là à dire que l’opposition à laquelle se livrent ces deux partis est un jeu de dupe il y a un pas qu’il serait très malséant de franchir.

Très malséant mais très tentant. Prenons le cas des retraites qu’il faut à tout prix sauver. Pour ce faire on n’ira pas par quatre chemins pour signifier son opposition à la casse de la Sécurité sociale. Ainsi quand le gouvernement tout méchant d’Edouard Balladur porte le nombre d’annuités ouvrant droit à une retraite à taux plein à 40 au lieu de 37,5, le PS exprime son mécontentement ; quand, en plus, le smyrniote décide que les pensions ne seront plus calculées en fonction des dix meilleures années mais des vingt-cinq, de sorte à faire baisser le montant des retraites, le PS gronde ; quand, de surcroît, le vampire décrète l’indexation des pensions sur l’inflation plutôt que sur la hausse des salaires, conduisant là encore les retraites à une baisse insidieuse, le PS fulmine. On ne plaisante pas avec la justice sociale, quand on est socialiste. C’est la raison pour laquelle, durant les cinq années où les socialistes ont gouverné la France, entre 1997 et 2002, ils ont entériné la réforme Balladur dont le principe général consiste donc à dégrader le niveau de vie des retraités, lentement mais sûrement, pour ‘sauver les retraites’ bien sûr. C’est encore la raison pour laquelle ils ont négocié et signé les accords de Barcelone qui prône 45 annuités pour ouvrir droit à la retraite et un départ en retraite repoussé le plus tard possible, 65 ans, 67 ans, 70 ans, afin de rapprocher le plus possible le départ en retraite de l’âge moyen auquel les ouvriers meurent. Les accords de Barcelone furent signés quelques jours avant que les ouvriers français renvoient le candidat à la présidence de la République Jospin à ces ruminations rétaises. A défaut d’un sens de la justice sociale reconnaissons aux socialistes un sens inné du timing ! 

14 avril 2008

A PROPOS DE LA SECURITE SOCIALE ET DE SES SAUVETAGES SUCCESSIFS

Agissons prudemment. Réformons petitement. Démantelons progressivement la Sécurité sociale.

Faire peur aux gens, en leur faisant croire que la situation est catastrophique, que si l'on n'y fait rien la Sécu périclitera. Utiliser l'attachement de la majorité des Français à cet archaïsme crypto-soviétique pour justifier la réduction de la couverture santé. Répéter plusieurs fois l'opération.

Grignoter ainsi lentement le système, jusqu'à ce que l'accroissement progressif de la part des dépenses de santé par les assurés finisse par leur fourrer dans le crâne que l'assurance maladie n'est pas une affaire collective mais un problème de responsabilité individuelle.

Voilà qui peut sembler simplet, c'est pourtant ce qui est à l'oeuvre en France depuis que l'UMP et le PS ont décidé de sauver le pays de la ruine. Et ça marche. Et ça marchera de mieux en mieux.

Dans un système où le coût des dépenses de santé est pour l'individu une part infime, la question de la solidarité ne se pose pas. Il paraît évident que la prise en charge des dépenses de santé doit être socialisée, le cotisant sait qu'il est susceptible de bénéficier du système et se posera finalement assez peu de questions relativement au degré de solidarité qu'il implique. Mais quand la prise en charge collective diminue et que le coût des assurances complémentaires grandit, l'évidence perd de sa force: ai-je vraiment intérêt à cotiser pour les autres si ces cotisations ne m'assurent pas une prise en charge au juste niveau en cas de besoin? Pourquoi payer pour les autres si je dois en plus payer pour moi?

Et les petites réformes de la Sécurité sociale se succèdent. A chaque fois on perd peu mais on perd quand même, en couverture sociale. Et à chaque fois qu'on perd un petit peu plus, on se dit, un petit peu plus, "à quoi ça sert que je cotise pour les autres si les autres cotisent de moins en moins pour moi?" Moi, j'ai 35 ans, je suis célibataire, en bonne santé et je gagne à peu près bien ma vie, si je dois payer de plus en plus de ma poche une assurance complémentaire, pourquoi devrais-je cotiser pour les gamins des autres, pour les maladies des autres, pour le vieillissement des autres? Ce genre de raisonnement n'est pas nouveau, il existe depuis la création de la Sécurité sociale, mais à chaque petite réformette qui diminue un petit peu la couverture santé des Français le nombre de Français qui se tiennent ce discours s'accroît, la capacité de résistance de la société s'affaiblit.

On commence par réduire la part des honoraires prise en charge par la Sécurité sociale, quelques années plus tard on supprime le remboursement d'un euro, viennent ensuite les franchises médicales. Des franchises médicales bien modestes au départ mais qui finiront bien par grandir, lentement mais sûrement. On sauve ainsi la Sécu, en développant l'inquiétude des individus. Or, plus ces individus s'inquièteront de la qualité de la couverture santé proposée par la Sécurité sociale, plus ils s'inquièteront de la capacité de celle-ci à les couvrir convenablement en cas de besoin, et plus ils chercheront des moyens individuels de se protéger contre les accidents de la vie. Ainsi l'on s'habitue lentement à penser l'assurance maladie non plus comme un problème de société et un enjeu politique mais comme un problème de responsabilité individuelle et un enjeu économique. Et plus on envisage la question sous l'angle strictement individuel, plus notre degré de tolérance aux attaques contre la Sécurité sociale augmente.

La Sécurité sociale, aussi bien l'assurance maladie que le régime de retraite, n'est viable sur le long terme que si elle assure à tous une prise en charge maximale, que si elle décharge l'individu de sa responsabilité en ces domaines. Faute de quoi le système se vicie lentement. Car en privant les individus de cette prise en charge on délégitime les cotisations prélevées sur les salaires, donc le système dont elles alimentent le fonctionnement. Certes il est toujours désagréable de payer dans le vide des cotisations mais quand on sait que soi-même on bénéficiera un jour des cotisations d'autrui la chose apparaît acceptable, désagréable mais acceptable, alors que pour celui qui sent qu'il ne touchera jamais rien ou si peu ces cotisations sont tout simplement odieuses, elles sont ressenties non comme un transfert mais comme une privation.

Le sauvetage de la Sécurité sociale n'est pas un problème d'ordre financier mais d'ordre culturel : veut-on vivre dans une société qui tend à promouvoir l'égalité entre les hommes, qui pose que la vie de chaque homme a la même valeur indépendamment de sa situation sociale et professionnelle, qui associe les individus à la société et la société aux individus ainsi que les individus entre eux par un lien de dépendance réciproque et non hiérarchisé? Ou veut-on vivre dans une société qui prend prétexte de la responsabilité individuelle pour justifier les inégalités entre les hommes, qui pose que la satisfaction des caprices des dominants prime la satisfaction des besoins des dominés, partant que la vie humaine a une valeur différenciée selon la place que l'individu occupe dans la hiérarchie sociale, une société qui donne à certains le pouvoir d'assujettir leurs semblables? Veut-on vivre dans un monde libre ou dans un monde autoritaire et régressif où des bandes de voyous en costards-cravates ou en sweats à capuches imposent leurs tyrannies crapoteuses? Veut-on reconstruire le monde qui a conduit à Auschwitz et ainsi donner raison à Jean-Marie Le Pen quand il présente les chambres à gaz où sont morts des millions d'hommes comme un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale?

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11 avril 2008

AMOUR DE L'HOMME

La philanthropie progresse en France. Voici donc, enfin, une bonne nouvelle. Les riches français, n'étant plus obérés grâce aux courageuses réformes de Mitterrand, Chirac et Sarkozy, ont davantage d'argent à consacrer à la culture, à l'action sociale, etc. Qui plus est, ils sont de plus en plus nombreux, les riches français: un effet de la crise terrible qui ravage l'économie française à n'en pas douter.

C'est formidable, la philanthropie, pour aider les pauvres petits enfants qui souffrent en signant des gros chèques devant les caméras de télévision. La caméra de télévision est en effet un élément primordial, elle agit un peu comme un stimulus, amenant le riche à sortir son chéquier pour donner beaucoup de dollars ou d'euros, aux nécessiteux. J'en viendrais même à me demander, si j'étais populiste, si les capitalistes, qui sont si bons, ne faisaient pas d'esprès de provoquer de la misère juste pour avoir le plaisir de montrer qu'ils sont généreux. Ne sombrons pas dans le populisme complotiste! Si les riches aiment à distribuer leur argent aux pauvres devant les caméras de télévision ce n'est pas pour se faire mousser mais pour donner l'exemple, aux demi-riches et aux presque demi-riches qui oublient un peu vite à quelle exploitation ils doivent leur fortune.

Car le philanthrope n'est pas dupe, il sait que le capitalisme produit de la misère autant que de la richesse. Donner des sous constituent donc pour lui une manière de rendre à la société ce qu'ils lui doivent, d'aucuns à l'esprit simple diraient à rendre aux pauvres ce qu'ils leur ont volé. Mais le philanthrope est au-dessus de ce genre de vilénies. Il connaît son devoir moral: être charitable envers ceux dont l'exploitation est à l'origine de sa fortune.

Le philanthrope a plein de principes. Un lui dicte de ne pas transmetttre sa fortune à ses enfants, qui doivent apprendre à se débrouiller par eux-mêmes. Il importe en effet au philanthrope de ne pas recréer une classe d'oisifs dilapidant la richesse accumulée par ses parents. Chacun doit gagner sa pitance. Car le philanthrope préfère enseigner au crève-la-faim à pêcher plutôt que lui distribuer des poissons déjà pêchés, démarrant ainsi le cercle vertueux du travail et de l'amour du travail et de la fierté du travail. Travailler dur, telle est la devise du philanthrope. C'est pourquoi il ne transmet qu'une petite partie de sa richesse à ses petits, pour ne pas donner le mauvais exemple car, ne l'oublions pas, le riche est exemplaire pour la société, s'il a fait fortune c'est bien la preuve qu'il est un être d'exception. N'enseignons pas la fainéantise aux travailleurs, ça leur ferait du mal. Le travailleur doit aimer le travail et être fier de travailler dur, comment faire fortune autrement, si les gens deviennent fainéants et ne sont plus fiers de travailler dur? C'est que l'argent ne tombe pas du ciel, il faut qu'il y ait des couillons à se tuer au turbin pour que le philanthrope puisse montrer l'exemple de la réussite, grâce au travail des bons travailleurs dont il accapare une part princière du fruit. Non, le philanthrope ne fera pas de son fiston et de sa fifille des rentiers, juste des demi-riches dont le train de vie luxueux passera inaperçu.

Rendons grâces à nos chers gouvernants qui permettent aux riches de distribuer leur manne aux pauvres grâce aux exonérations d'impôts. 

8 avril 2008

MES INQUIETUDES, MES SUEURS FROIDES QUANT A L'AVENIR DE L'UNION EUROPEENNE

L'Europe avant l'Europe et la mondialisation d'avant la mondialisation

Que ferait-on en Europe sans l'Eurpe ? La Guerre, assurément. Sans l'Europe Unie nous serions tous en train de nous entretuer. La faute au nationalisme, pour sûr. Les rivalités économiques ne jouèrent aucun rôle dans le déclenchement des deux guerres mondiales. Il faudrait vraiment être un odieux révisionniste pour laisser entendre que capitalisme et concurrence libre et non faussée auraient entraîné le Vieux Continent à sa presque autodestruction. Le commerce comme chacun sait rapproche les hommes: c'est marqué dans les livres et les manuels scolaires. D'où la nécessité de libérer l'économie de ces entraves insupportables imposées par un nationalisme répugnant à coups de collectivisation partielle des moyens de production (comme les nationalisations d'après guerre), de socialisation partielle des revenus (la Sécurité sociale), de réglementations financières, de droit du travail, de fiscalité progressive redistributive et autres horreurs, archaïsmes et lèse-marchés qui désincitent à l'audace, à la libre entreprise et à l'initiative privée. Heureusement pour nos vils penchants populaciers, la Grande Europe Unie protège le commerce, étendant par voie de conséquence la Paix libérale aux sociétés entières.

Quelque monstre rappellera que la mondialisation du commerce était déjà bien avancée avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, plus que dans les années 1960 et 70 de sinistre mémoire (révoltes sociales, féminisme, grèves générales, régressions des inégalités de revenus, contestations des hiérarchies sociales et patrons terrorisés par leurs ouvriers). Les économies étaient largement interdépendantes avant 1914, le Made in Germany inondait l'Europe entière, les capitaux britanniques suscitaient le décollage économique de continents entiers (l'Amérique du Sud par exemple). Les échanges de biens et l'intégration des marchés financiers atteignaient leur apogée au terme d'un cycle d'une cinquantaine d'années qui avait accru comme jamais l'interdépendance des nations. Puis la Guerre survint qui brisa l'élan pour un nouveau cycle d'une cinquantaine d'années, au cours duquel la mondialisation capitaliste va quelque peu sommeiller. Notons que la Première Guerre mondiale n'a pas éclaté à cause de l'isolement autarcique de nations repliées sur elles-mêmes mais au moment même où leurs relations économiques et financières atteignaient une intensité jamais vue, cela dans une Europe dont les élites étaient probablement plus polyglottes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Le libre commerce, la libre concurrence et la libre finance ne concoururent guère à rapprocher les peuples.

Mais il est possible que ce ne soit pas tant "les peuples" qui soient en cause dans le déclenchement de la guerre. Peut-être est-ce justement la conséquence de la mondialisation d'alors ? Peut-être est-ce parce que la mondialisation capitaliste repose sur l'exacerbation des rivalités nationales ? Dans un monde où les capitaux s'investissent de plus en plus librement, les Etats se trouvent entraînés dans une compétition pour attirer sur leur sol ce capital dont ils ont besoin pour assurer l'expansion de leur économie, cette expansion même attisant encore la compétition puisque, par définition, la compétition produit des vainqueurs et des vaincus mais des vainqueurs et des vaincus toujours précaires car le vainqueur du moment vit sous la menace permanente de perdre son statut avantageux, ce qui le contraint à se défier des autres et à les penser comme des ennemis, et le vaincu peut rêver que demain à son tour il vaincra ce qui alimente son agressivité.

Dans ce monde-là les peuples n'ont guère le choix: ils doivent se montrer solidaires de leurs Etats dans cette lutte. Les pauvres, dans la France actuelle, ont de bonnes raisons d'être malheureux ; il n'en demeure pas moins que, tout pauvres qu'ils sont, leur vie est bien meilleure que celle des pauvres en Roumanie, et celle de de ces derniers bien meilleure que celle des indigents cambodgiens, etc. C'est sans doute pourquoi l'appel à l'union des travailleurs par-delà les frontières échoue à dépasser le statut de simple slogan. Ainsi les travailleurs britanniques du début du vingtième siècle, même s'ils affrontaient les mêmes problèmes sociaux que leurs homologues allemands, avaient tout intérêt à ce que la Grande-Bretagne maintienne son rang de super-puissance mondiale au dessus du lot, contrôlant les mers et de ce fait le commerce mondial, super puissance que l'Allemagne avec son dynamisme et les ambitions qui l'accompagnaient mettait en danger. La misère effroyable subit par le peuple allemand dans les années qui ont suivi la Grande Guerre en atteste : la vie des exploités, si elle était des deux côtés de la Mer du Nord due au même système économique, était infiniment meilleur au sein du pays vainqueur que du pays vaincu. En régime capitaliste les esclaves sont généralement contraints par la force des choses à défendre leurs maîtres...

La compétition économique poussée à l'extrême mène les Etats sur le chemin de la guerre. Les peuples ne jouent aucun rôle dans l'affaire : ni dans le sens où le chauvinisme populacier excité en nationalisme conduirait à la guerre, ni dans le sens où la communauté internationale d'intérêts des travailleurs écrasés par un même système économique le conduit à vouloir et à défendre la paix. Les Etats d'ailleurs ne sont-ils pas eux-mêmes entraînés par une dynamique qui les dépasse ? Le comédien, sur la scène, peut jouer de telle ou telle manière, il n'est pas pour autant maître de la trame dramatique à laquelle il participe.


L'Europe unie dans la mondialisation contemporaine

Ces élucubrations me ramènent à notre belle Europe, à cette quintessence de la démocratie : la démocratie sans le peuple -on fait bien de la bière sans alcool et du café sans caféine. Que voit-on à l'oeuvre depuis l'Acte unique, dans notre belle Europe ? Que voit-on si ce n'est l'exaspération de la compétition entre les Etats de l'UE ? Que voit-on si ce n'est une concurrence libre et non faussée qui attise les rivalités entre les Etats ?

Existe-t-il ridicule plus grand que celui du grand Européen désespéré par le renouveau des égoïsmes nationaux ? N'est-ce pas cela, la complainte des grands Européens au sujet des méchants égoïsmes nationaux, qu'on entend après chaque sommet du Conseil européen, au cours de la négociation de chaque traité ou pendant la campagne de ratification dudit traité, c'est-à-dire à peu près tout le temps puisque depuis le fameux Acte unique nous sommes toujours soit en phase de négociation d'un traité européen soit en phase de ratification d'un traité européen ? Les Européens, ces Européens-là obsédés par l'Union, sont de grands candides. A moins qu'ils ne comprennent rien du monde qu'ils construisent, des idées qu'ils défendent, des mécanismes pervers qu'ils déclenchent. -Je dis la chose d'autant plus librement que moi-même j'étais, à mon petit niveau, très petit, de ces Européens béats et perclus ; je le fus jusqu'à la décision salvifique du président de la République Chirac de convoquer un référendum pour ratifier le Traité Constitutionnel Européen, référendum qui m'a conduit (je ne dois pas être le seul dans ce cas) à y regarder de plus près et à adopter une attitude non hostile mais critique à l'égard de la "construction européenne".- Car enfin, qui a bâti, édifié la vaste zone de libre concurrence qu'est devenue l'Europe si ce ne sont ces grands Européens-là ? Qui, en conséquence, est à l'origine de l'exacerbation des rivalités nationales au sein de l'Union ?

Les vilains égoïsmes nationaux que les gentils partisans de l'UE fustigent ne sont pas la conséquence d'un renouveau des nationalismes et d'un reflux de l'esprit communautaire mais le produit du processus européen lui-même. D'où l'absurdité qu'il y a à vouloir approfondir encore plus l'Europe car chaque nouvelle étape dans la voie de l'établissement de la Grande Concurrence contribue à affaiblir l'Europe puisque cette nouvelle étape, ce pas nouveau franchit vers l'intégration, attisera davantage la compétition entre les Etats, lesquels se verront ainsi de plus en plus placés devant la nécessité de défendre toujours plus férocement leurs intérêts face à des partenaires qui ne sont dans la réalité que des adversaires dans la guerre économique qui les opposent les uns aux autres.

L'acide qui corrode la belle mécanique de l'Union européenne n'est pas la prétendue résurgence du nationalisme mais la propre pensée européiste.

6 avril 2008

NOUS SOMMES TOUS NOS PROPRES MAQUIGNONS

Celui qui pisse le plus loin

Il y a quelques années le Produit intérieur brut chinois a dépassé celui de la France, comme un symbole du déclin irréversible du pays. Tout le monde s'en fout plus ou moins de la Chine, à plus forte raison qu'elle nous dépasse au plan économique; qui plus est les Chinois sont 25 fois plus nombreux que nous: l'argument du déclin laissa indifférent à cette occasion. Mais le PIB chinois n'est pas le seul qui ait dépassé celui de la France, celui de la Grande-Bretagne aussi, ce qui permet plus facilement la comparaison, vu la proximité géographique, économique et démographique des deux nations.

L'affaire a donc fait quelque bruit. Un doux bruit de bottes bien capitaliste. La perfide Albion repasse devant la France! La chose n'est pas anodine mais pleine de sens. Car cette expansion formidable de l'Angleterre est le fruit des réformes impopulaires engagées par Margaret Thatcher, que la France est supposée n'avoir pas réalisées. La flexibilité du marché du travail, comprendre la précarité pour les travailleurs, les privatisations de tout et n'importe quoi, comprendre pertes d'emploi et de salaires et baisse de l'investissement productif, la libéralisation des marchés financiers: toutes choses que nous n'avons jamais eu le bonheur de connaître. Il est vrai que la France n'est pas allé aussi loin dans ses politiques réactionnaires qui fleurent bon l'avant-guerre, ou plutôt l'avant-reconstruction qui n'avait pas consisté seulement à rebâtir les édifices mais aussi à édifier la Sécurité sociale et à nationaliser une partie de l'économie. Il n'empêche que les réformes menaient en France depuis 25 ans proviennent des mêmes sources que celles imposées par Thatcher, Major et Blair.

Peut-être, justement, est-ce parce que la France est restée au milieu du gué qu'elle patauge dans la crise ? Toujours est-il qu'au cours de l'année 2007 le PIB français est repassé devant le PIB britannique, dans l'indifférence générale, à commencer par celle des médias et des déclinologues. Pourquoi donc un tel silence quand on célébrait bruyamment le dépassement, lorsqu'il marchait dans l'autre sens ? Ce silence a peut-être la même origine que celui qui omet systématiquement de rappeler que le taux de pauvreté britannique a toujours été plus élevé que le français durant ces 25 dernières années; même si l'écart est assez faible il n'en demeure pas moins vrai, malgré le boom qu'est censée avoir connu l'économie britannique et la stagnation qu'est censée avoir subi la française, malgré le "plein emploi" d'un côté et le "chômage endémique" de l'autre. Sans doute sont-ils lotophages ces experts en déclinologie française qui s'esquintent les neurones à essayer de faire comprendre aux ahuris le drame que représente l'expatriation des 200 000 Français de Londres, en oubliant que ça fait maintenant 15 ans qu'on nous rebat les oreilles de ce conte, en oubliant qu'il ne s'agit la plupart du temps que de gens de passage, la preuve en est que malgré le grand nombre de Français qui s'expatrient annuellement outre-Manche le nombre total de Français reste stable. En omettant surtout que la Grande-Bretagne est aujourd'hui le plus grand pays d'émigration parmi les nations développées, ce qui explique également qu'elle importe en si grandes quantités des immigrants, lesquels ne viennent pas occuper les emplois créés par un boom économique purement virtuel mais tout simplement remplacer les travailleurs britanniques qui partent en masse, année après année, s'installer de par le vaste monde anglo-saxon.


Celui qui satisfait ses besoins

Qu'importe, d'ailleurs, que le PIB anglais soit plus gros que le français, ou le français plus gros que l'anglais. Qu'importe les statistiques foireuses et qui ne signifient rien la plupart du temps. En fin de compte c'est toujours et partout les mêmes salades pourries que nous sommes priés de manger poliment: qu'on soit ici un peu plus libéral et là un peu moins ne changera pas grand chose à la réalité de l'économie capitaliste. L'enrichissement national ne signifie rien en soi, il peut reposer sur l'appauvrissement de certaines couches de la population. Il constitue cependant une rhétorique puissante: la croissance qui sauve le monde, un peu comme Bruce Willis. La croissance qui sauvera le monde une fois que les réformes propitiatoires auront abouties : libéralisation et libre échange.

La grande force des capitalistes est qu'il ne croit pas un mot de ce qu'ils disent. Ils défendent un système injuste et violent, un système qui repose sur la domination des uns par les autres, qui excite à la compétition et n'est viable qu'en raison des gratifications en terme de puissance sociale qu'il promet aux vainqueurs. Un programme qui peut séduire certains mais qui ne siéra jamais à une majorité, d'où la démagogie dans laquelle les capitalistes sont experts et redoutables. Ils doivent dire n'importe quoi pour justifier les sacrifices, qu'ils n'assument jamais, occasionnées par les ''réformes'', ils doivent promettre la prospérité pour tous pour peu qu'on accède à leurs revendications...Ils peuvent le faire d'autant plus librement qu'ils savent pertinemment qu'une fois enclenché le cercle vicieux de la concurrence généralisée, à l'intérieur des nations et entre les nations, il est quasiment impossible d'en sortir, à moins d'une crise effroyable comme celle de 1929 qui a vu la richesse américaine fondre de moitié en 3 ans et les nazis parvenir au pouvoir en Allemagne.

C'est bien là leur suprême victoire car quel esprit dégénéré appellera de ses voeux un effondrement du même ordre que celui qui a ravagé le monde entre 1929 et 1945 ? Même en étant socialiste on se voit contraint moralement de soutenir le sauvetage par l'argent public de l'économie capitaliste et de tout faire pour empêcher une nouvelle Grande Crise au cas où, parce qu'on ne sait jamais, la crise actuelle des subprimes entraînerait le monde vers l'apocalypse économique annoncée par certains. Le capitalisme produit de la pauvreté mais ce sont encore les pauvres qui ont le plus intérêt à ce que le système qui les écrase se perpétue...

De pareille perversité, qui oblige le martyr à sauver son bourreau, quelle barbarie sourdra ?

3 avril 2008

LE TOURBILLON DE LA MORT

Des drames vraiment affreux s'apprêtent à déferler sur l'Europe, causant des angoisses apocalyptiques dans les instances européennes et gouvernementales. Une spirale infernale pourrait se déclencher et ravager le continent tout entier, au risque de nous ramener, qui sait ? à l'âge de pierre. Le retour de l'inflation soucie les gens, ce qui tracasse fort la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne. Nul n'ignore combien médiocre est la nature humaine, et cupide, toujours vautrée dans la facilité et la paresse tant physiques qu'intellectuelles. Pour qui est capable d'une vision globale des choses, une vision pleinement indépendante, soumise à aucun lobbying ou parti pris idéologique, libre de toute entrave, la réaction imbécile des masses abruties glace d'effroi.

A n'en pas douter la valetaille refusera de perdre son pouvoir d'achat énorme plutôt que de faire preuve de longanimité dans la crise. Ce serait si simple d'attendre, patiemment, que les, il est vrai difficiles, mesures idoines pour résoudre la crise fassent effet. Nenni, la populace furieuse, impropre à maîtriser ses pulsions comme ses émotions, irréductible à la raison, exigera que ses pertes de revenu provoquées par l'inflation soient compensées par des hausses de salaire. Or les gens sont trop payés, surtout les ouvriers et les employés et les fonctionnaires, comme le savent et le professent tous les experts indépendants, toutes les sommités patronales, gouvernementales, tous les présidents de banque centrale et tous les commissaires et le parlement européen et les parlements nationaux et les journaux de référence ; tout ce que l'Europe compte de cerveaux actifs, raisonnés et indépendants sait que les salaires coûtent trop cher aux entreprises, que ça mine la compétitivité.

Voyons comment l'Allemagne s'est redressée : en baissant la fiscalité acquittée par les soi-disant riches et en baissant les salaires ainsi qu'en licenciant massivement les ouvriers locaux pour en réembaucher d'autres, plus à l'est, où les gens sont mal payés. Admirable dévouement du capitalisme allemand qui aide les Européens de l'est à sortir la tête de l'eau en leur fournissant du travail, mal payé certes, même très mal payé. Mais chacun sait que c'est pour leur bien qu'il faut sous-payer les ouvriers et les employés, sinon ils auront la folie des grandeurs et entraîneront la chute de l'économie. Chute justement à craindre avec les tensions actuelles sur les salaires, à l'ouest comme à l'est. Difficile le ministère de l'homme de bien, car il doit agir contre la volonté des hommes méchants et vils afin de leur permettre de vivre le mieux qui soit.

La spirale inflationniste, quelle angoisse ! les effets de second tour, quelle terreur mortelle !


C'est pour leur bien qu'on sous-paye les travailleurs. Parce que les hausses de salaire entament la compétitivité de l'économie. Les prix des produits et prestations se trouvent augmentés, or la concurrence veille, la concurrence qui défend les bons consommateurs pour leur bien en faisant baisser les prix. Car il est essentiel que les prix baissent. Ce qui implique que, pour le bien des petites gens qui n'ont pas beaucoup de sous à cause que la compétitivité l'exige, on diminue les coûts de production, donc les salaires. C'est logique : si on ne baisse pas les salaires des travailleurs ouvriers on ne pourra pas baisser les prix à l'achat pour les travailleurs consommateurs. Etc.

Comme tout s'éclaire : la concurrence fait baisser les salaires ! Et comme les ouvriers et les employés et les fonctionnaires sont stupides il faut les contraindre pour leur bien à se soumettre à une concurrence toujours plus grande. Pour ce faire il existe un truc très pratique : l'ouverture des frontières. Génial le truc ! Quel homme de Néandertal aurait l'audace de pester là contre ? Les frontières c'est caca, ça vous fait comme une prison, c'est oppressant, ça vous fait comme une camisole comme si qu'on était dément, on étouffe, on meurt...Contre l'esprit nationaliste, le libre échange est la solution idéale. Le vrai truc génial avec le truc des frontières caca c'est qu'on n'a même pas besoin de faire soi-même le boulot : il y a plein de couillons "de gauche", mais de toutes les gauches de Delors aux Besancenot, qui font le boulot eux-mêmes et savonnent la planche à toute politique alternative. Faut dire qu'ils sont fortiches, les gens "de gauche", pour te faire des grands discours et comment qu'on est tous des frèreux et comment que les frontières caca elles sont toutes artificielles et que ça fait la guerre et que les petits enfants ils meurent de faim et que les petites madames elles se font violer et que ma tati elle a dit ci et que ma tata elle a dit ça.

Rien de tel que des bons gros couillons "de gauche" pour enjôler le vulgaire avec des grandes phrases et des beaux discours. C'est beau la générosité, surtout quand on fait l'impasse sur le fait que l'ouverture des frontières se fait dans le cadre de l'économie capitaliste, sous la houlette des investisseurs privés toujours à l'affût de profits croissants. C'est un système tout ça : la baisse des salaires, l'écrasement des revenus ne sont possibles que si les frontières demeurent grandes ouvertes, et l'ouverture des frontières ne tient que si on parvient à tirer à la baisse les revenus des ouvriers et des employés et des fonctionnaires. D'où l'angoisse des gens qui savent, des experts indépendants, des commissaires européens, des ministres, des gouverneurs de banque centrale, du président de la Banque Centrale Européenne, etc. car l'argument de la compétitivité à force d'être utilisé finit par devenir dangereux. A force de répéter aux esclaves qu'on ne peut pas les payer plus à cause de la concurrence internationale ils risquent de tourner casaque et de se dire que le libre échange n'a d'autre fin que d'accroître la puissance des classes dominantes et d'enrichir les riches. Que l'ouverture des frontières est une politique violemment réactionnaire, "bourgeoise" aurait-on dit à une époque pas si lointaine.


Voilà pourquoi il faut défendre des hausses massives de salaire et tordre le cou à la modération salariale (si j'étais vilain je dirais à ceux qui la professent, à commencer par les "socialistes"). Une vague de hausse vertigineuse des salaires ferait exploser le système, lequel est tellement profitable à certains, à ceux qui n'ont nul besoin de davantage de revenus si ce n'est pour préserver leur vie de privilège. Travailleurs de tous pays exigez à l'instar des sidérurgistes, des métallo et des foncionnaires allemands des hausses de 5% de salaires : ce sera plus efficace que les beaux discours des idiots utiles d'une certaine "gauche".

31 mars 2008

SUR LA RUINE ET LA CORRUPTION

Réprimer les moines tibétains, et plus généralement les tibétains, constitue une fort vilaine action. C'est bien la moindre des vilenies qu'on puisse attendre d'un régime communiste où les entreprises de France et de Navarre réalisent quelques bénéfices, menus cela va sans dire : comment pourrait-il en être autrement dans un pays communiste ? Une vilenie dans la lignée de bien d'autres, comme la propagande anti-religieuse ou la répression de la liberté d'expression. Assassiner les gens, même les tabasser au prétexte qu'ils professent publiquement des opinions différentes ou divergentes voire déviantes attente aux droits de l'homme, imprescriptibles et universels, quand bien même cette divergence consiste en la défense de superstitions et de foutaises assez grotesques. Les moines tibétains ont beau défendre la liberté de professer (et d'adhérer à) des croyances obscurantistes il n'en demeure pas moins que chacun doit être libre de croire aux fadaises qui lui agréent, qu'elles soient d'ordre religieuses ou politiques ou patriotiques ou économiques ou sportives, pour autant que l'institution qui porte et colporte ces fadaises ne les imposent pas à tout le monde par la force. La défense de la liberté de conscience présuppose d'ailleurs que toutes les fadaises soient libres de s'exprimer et d'exister dans la société, qu'elles croissent et se multiplient autant qu'il est possible de sorte qu'aucune ne puisse dominer la société, accéder au pouvoir et contrôler l'Etat. Les fadaises s'annulent plus ou moins les unes les autres, ce qui n'exclut pas la vigilance agnostique : l'affaire des caricatures du boutiquier hystérique de La Mecque a bien montré comment les cagots de toute espèce religieuse savent parfois surmonter leurs antagonismes casuistiques quand il s'agit de tyranniser le monde, en l'occurrence rétablir le délit de blasphème. On a vu l'utilité des fadaises communiste, anarchiste et républicaine à cette occasion.

Toujours est-il qu'il faut faire quelque chose. Il le faut ! Afin de défendre les droits du peuple tibétain ? Ambition excessive et passéiste : le peuple tibétain est condamné à mourir, c'est ainsi et nul n'y peut rien. Dans les parties de l'ancien Tibet qui ont été rattachées à des provinces chinoises la culture et la langue tibétaines agonisent lentement. Quant à la partie de l'ancienne théocratie tibétaine interdite aux étrangers à l'époque glorieuse de l'indépendance, et qui constitue la Région autonome du Tibet, elle est aujourd'hui peuplée majoritairement de Chinois. Ce qui clôt définitivement tout débat autour de la question de l'indépendance du Tibet. Reste la défense des droits culturels, laquelle relève essentiellement du discours et ne présente aucun intérêt pratique. La Chine s'urbanise, de la même manière que l'urbanisation de l'Europe a annihilé les cultures paysannes, l'urbanisation de la Chine annihilera les cultures des minorités strictement rurales, tout simplement parce que les ruraux émigrent et émigreront de plus en plus dans des villes de culture chinoise où la transmission de la culture d'origine par les parents est vouée à l'échec à moins que lesdits ruraux ne s'enferment ou ne se trouvent enfermés dans des ghettos. Or la culture tibétaine est essentiellement rurale...

La culture tibétaine est condamnée à s'éteindre, comme la culture bretonne disparaît en France aujourd'hui avec la fin de la paysannerie bretonne, ce qui n'empêche nullement les Bretons et la Bretagne d'exister. Les cultures meurent toutes d'une manière ou d'une autre, soit qu'elles s'éteignent et disparaissent totalement soit qu'elles évoluent tant que la culture de la communauté devient totalement étrangère à ce qu'elle était quelques générations auparavant : les contemporains de la Renaissance portaient comme nous le nom français mais ils nous sont étrangers autant que peuvent l'être les Chinois de 2008 même si nous sommes objectivement plus liés par l'histoire avec nos "compatriotes" du seizième siècle, dont nous sommes les héritiers et les continuateurs pour le meilleur et pour le pire, sans lesquels nous n'existerions pas tel que nous existons en tant que Français du vingt-et-unième siècle, que nous ne sommes liés par la contemporanéité aux Chinois actuels avec lesquels nous sommes susceptibles de converser, voire plus si affinités. Vouloir à tout prix maintenir en vie des langues et des cultures déclinantes procède d'une obsession patrimoniale que l'on peut voir s'exprimer dans la volonté forcenée d'empêcher les édifices anciens de tomber en ruine. Conserver les églises ayant un sens relativement à l'histoire de l'architecture ou de l'art, à l'histoire nationale se comprend : cela signifie-t-il pour autant que toutes les églises qui ont été un jour construites en France appartiennent au patrimoine français ? Qu'il faille les entretenir quand elles tombent en obsolescence du fait du reflux de la pratique catholique ?

Les édifices tombent en ruine, les cultures s'éteignent et les hommes meurent : c'est la loi. S'efforcer d'allonger l'existence humaine, de prolonger la survie de langues et de cultures déclinantes, d'entretenir les édifices et les monuments est tout à fait louable et nécessaire. La Loi n'en demeure pas moins, implacable et irréductible. Et nécessaire. La ruine n'est pas toujours la conséquence d'une décadence mais plus souvent celle de la vitalité des sociétés humaines dont les croyances, l'organisation politique changent et donnent naissance à un monde jamais totalement nouveau, néanmoins neuf. Les églises chrétiennes ont souvent été bâties sur l'emplacement de temples romains qui eux-mêmes s'étaient substitués aux cultes gaulois. Si nos lointains ancêtres de l'Empire romain avaient patrimonialisé les temples gaulois, la langue gauloise, la civilisation gauloise nous n'existerions pas en tant que nation vivante dans le monde, nous ne serions que les clones dégénérés d'un grand peuple qui a peuplé et mis en valeur le pays qui n'était pas encore de France, qui a nommé nombre de ses villes et de ses régions qui sont nôtres. Les Gaulois sont bien plus grands dans la mémoire de la nation française vivante et ouverte, quelque part ils sont bien plus vivants en tant que civilisation disparue à travers les Parisiens noirs ou juifs, les Auvergnats d'origine arabe ou asiatique qui portent leurs noms, qu'ils ne le seraient si les Romains les avaient conservés tels quels, au nom du Patrimoine et du Conservatoire universels, dans une réserve à l'écart du monde. Nous sommes, Français, une nation vivante parce que les peuples et civilisations qui nous ont précédé sur notre terre se sont éteints ou se sont mués génération après génération en quelque chose d'autre : la culture se nourrit de la corruption du cadavre d'autres cultures, elle se nourrit aussi de sa propre corruption.

Refuser la ruine ne nous conduit-il pas à devenir des caricatures de ce que nous fûmes autrefois, à tel moment ? La décadence n'est pas dans la ruine mais dans le refus obstiné de l'évolution des choses, dans le fantasme de la conservation indéfinie de tout ce qui est, a été un jour. Comme si ce jour ne devait jamais finir. Finalement ne s'agit-il pas là de narcissisme ? N'est-ce pas une extrapolation à la nation du refus assez répandu chez les individus contemporains de vieillir ? On se badigeonne la goule, on fait du sport, on mange mais pas de trop, pour moins vieillir, tout du moins pour que le vieillissement paraisse moins. On trouve ça mal de vieillir, de paraître vieillir parce qu'il faut être jeune dans sa tête toujours, avoir l'air jeune sur son visage toujours. Comme si les marques du temps qui passent devaient être gommées. Comme si le temps devait être aboli. Comme si rien ne devait changer et qu'il fallait être toujours identique à soi-même, être à trente ans comme à vingt ans, à quarante ans comme à vingt, à cinquante ans comme à vingt. Mais vingt ans n'est pas un âge ; on est âgé lorsque on est vieux, marqué par les stigmates du temps qui passe, de la vie qui s'écoule. Vingt ans est un non-âge, avoir toujours vingt ans revient à se mettre hors la vie puisque la vie c'est la corruption, la dégradation lente du corps et des traits du visage. Refuser le vieillissement revient à refuser la vie, le changement, le déclin et le renouveau. C'est le fantasme de l'individu-mesure de toutes choses qui n'envisage le monde qu'en tant qu'instrument de son expansion, de son désir, de son plaisir, individu triste que le passage du temps mène inexorablement à résipiscence. Lorsqu'il constate que le monde n'est pas à sa disposition et qu'il ne peut arrêter la marche du temps ; quand les crèmes anti-rides et le viagra ne parviennent plus à maintenir l'illusion du temps immobile, des vingt ans éternels, reste toujours l'environnement, le cadre de vie, l'architecture, la langue au maintien desquels, à la perpétuation sans changement desquels il devient plaisant de s'accrocher.

Laissons nos châteaux et nos églises tomber en ruine et nous nous libèrerons d'une illusion lugubre qui nous cause davantage de souffrance que de plaisir, de frustration que d'épanouissement.

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