Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Opinions idiotes
31 mars 2008

SUR LA RUINE ET LA CORRUPTION

Réprimer les moines tibétains, et plus généralement les tibétains, constitue une fort vilaine action. C'est bien la moindre des vilenies qu'on puisse attendre d'un régime communiste où les entreprises de France et de Navarre réalisent quelques bénéfices, menus cela va sans dire : comment pourrait-il en être autrement dans un pays communiste ? Une vilenie dans la lignée de bien d'autres, comme la propagande anti-religieuse ou la répression de la liberté d'expression. Assassiner les gens, même les tabasser au prétexte qu'ils professent publiquement des opinions différentes ou divergentes voire déviantes attente aux droits de l'homme, imprescriptibles et universels, quand bien même cette divergence consiste en la défense de superstitions et de foutaises assez grotesques. Les moines tibétains ont beau défendre la liberté de professer (et d'adhérer à) des croyances obscurantistes il n'en demeure pas moins que chacun doit être libre de croire aux fadaises qui lui agréent, qu'elles soient d'ordre religieuses ou politiques ou patriotiques ou économiques ou sportives, pour autant que l'institution qui porte et colporte ces fadaises ne les imposent pas à tout le monde par la force. La défense de la liberté de conscience présuppose d'ailleurs que toutes les fadaises soient libres de s'exprimer et d'exister dans la société, qu'elles croissent et se multiplient autant qu'il est possible de sorte qu'aucune ne puisse dominer la société, accéder au pouvoir et contrôler l'Etat. Les fadaises s'annulent plus ou moins les unes les autres, ce qui n'exclut pas la vigilance agnostique : l'affaire des caricatures du boutiquier hystérique de La Mecque a bien montré comment les cagots de toute espèce religieuse savent parfois surmonter leurs antagonismes casuistiques quand il s'agit de tyranniser le monde, en l'occurrence rétablir le délit de blasphème. On a vu l'utilité des fadaises communiste, anarchiste et républicaine à cette occasion.

Toujours est-il qu'il faut faire quelque chose. Il le faut ! Afin de défendre les droits du peuple tibétain ? Ambition excessive et passéiste : le peuple tibétain est condamné à mourir, c'est ainsi et nul n'y peut rien. Dans les parties de l'ancien Tibet qui ont été rattachées à des provinces chinoises la culture et la langue tibétaines agonisent lentement. Quant à la partie de l'ancienne théocratie tibétaine interdite aux étrangers à l'époque glorieuse de l'indépendance, et qui constitue la Région autonome du Tibet, elle est aujourd'hui peuplée majoritairement de Chinois. Ce qui clôt définitivement tout débat autour de la question de l'indépendance du Tibet. Reste la défense des droits culturels, laquelle relève essentiellement du discours et ne présente aucun intérêt pratique. La Chine s'urbanise, de la même manière que l'urbanisation de l'Europe a annihilé les cultures paysannes, l'urbanisation de la Chine annihilera les cultures des minorités strictement rurales, tout simplement parce que les ruraux émigrent et émigreront de plus en plus dans des villes de culture chinoise où la transmission de la culture d'origine par les parents est vouée à l'échec à moins que lesdits ruraux ne s'enferment ou ne se trouvent enfermés dans des ghettos. Or la culture tibétaine est essentiellement rurale...

La culture tibétaine est condamnée à s'éteindre, comme la culture bretonne disparaît en France aujourd'hui avec la fin de la paysannerie bretonne, ce qui n'empêche nullement les Bretons et la Bretagne d'exister. Les cultures meurent toutes d'une manière ou d'une autre, soit qu'elles s'éteignent et disparaissent totalement soit qu'elles évoluent tant que la culture de la communauté devient totalement étrangère à ce qu'elle était quelques générations auparavant : les contemporains de la Renaissance portaient comme nous le nom français mais ils nous sont étrangers autant que peuvent l'être les Chinois de 2008 même si nous sommes objectivement plus liés par l'histoire avec nos "compatriotes" du seizième siècle, dont nous sommes les héritiers et les continuateurs pour le meilleur et pour le pire, sans lesquels nous n'existerions pas tel que nous existons en tant que Français du vingt-et-unième siècle, que nous ne sommes liés par la contemporanéité aux Chinois actuels avec lesquels nous sommes susceptibles de converser, voire plus si affinités. Vouloir à tout prix maintenir en vie des langues et des cultures déclinantes procède d'une obsession patrimoniale que l'on peut voir s'exprimer dans la volonté forcenée d'empêcher les édifices anciens de tomber en ruine. Conserver les églises ayant un sens relativement à l'histoire de l'architecture ou de l'art, à l'histoire nationale se comprend : cela signifie-t-il pour autant que toutes les églises qui ont été un jour construites en France appartiennent au patrimoine français ? Qu'il faille les entretenir quand elles tombent en obsolescence du fait du reflux de la pratique catholique ?

Les édifices tombent en ruine, les cultures s'éteignent et les hommes meurent : c'est la loi. S'efforcer d'allonger l'existence humaine, de prolonger la survie de langues et de cultures déclinantes, d'entretenir les édifices et les monuments est tout à fait louable et nécessaire. La Loi n'en demeure pas moins, implacable et irréductible. Et nécessaire. La ruine n'est pas toujours la conséquence d'une décadence mais plus souvent celle de la vitalité des sociétés humaines dont les croyances, l'organisation politique changent et donnent naissance à un monde jamais totalement nouveau, néanmoins neuf. Les églises chrétiennes ont souvent été bâties sur l'emplacement de temples romains qui eux-mêmes s'étaient substitués aux cultes gaulois. Si nos lointains ancêtres de l'Empire romain avaient patrimonialisé les temples gaulois, la langue gauloise, la civilisation gauloise nous n'existerions pas en tant que nation vivante dans le monde, nous ne serions que les clones dégénérés d'un grand peuple qui a peuplé et mis en valeur le pays qui n'était pas encore de France, qui a nommé nombre de ses villes et de ses régions qui sont nôtres. Les Gaulois sont bien plus grands dans la mémoire de la nation française vivante et ouverte, quelque part ils sont bien plus vivants en tant que civilisation disparue à travers les Parisiens noirs ou juifs, les Auvergnats d'origine arabe ou asiatique qui portent leurs noms, qu'ils ne le seraient si les Romains les avaient conservés tels quels, au nom du Patrimoine et du Conservatoire universels, dans une réserve à l'écart du monde. Nous sommes, Français, une nation vivante parce que les peuples et civilisations qui nous ont précédé sur notre terre se sont éteints ou se sont mués génération après génération en quelque chose d'autre : la culture se nourrit de la corruption du cadavre d'autres cultures, elle se nourrit aussi de sa propre corruption.

Refuser la ruine ne nous conduit-il pas à devenir des caricatures de ce que nous fûmes autrefois, à tel moment ? La décadence n'est pas dans la ruine mais dans le refus obstiné de l'évolution des choses, dans le fantasme de la conservation indéfinie de tout ce qui est, a été un jour. Comme si ce jour ne devait jamais finir. Finalement ne s'agit-il pas là de narcissisme ? N'est-ce pas une extrapolation à la nation du refus assez répandu chez les individus contemporains de vieillir ? On se badigeonne la goule, on fait du sport, on mange mais pas de trop, pour moins vieillir, tout du moins pour que le vieillissement paraisse moins. On trouve ça mal de vieillir, de paraître vieillir parce qu'il faut être jeune dans sa tête toujours, avoir l'air jeune sur son visage toujours. Comme si les marques du temps qui passent devaient être gommées. Comme si le temps devait être aboli. Comme si rien ne devait changer et qu'il fallait être toujours identique à soi-même, être à trente ans comme à vingt ans, à quarante ans comme à vingt, à cinquante ans comme à vingt. Mais vingt ans n'est pas un âge ; on est âgé lorsque on est vieux, marqué par les stigmates du temps qui passe, de la vie qui s'écoule. Vingt ans est un non-âge, avoir toujours vingt ans revient à se mettre hors la vie puisque la vie c'est la corruption, la dégradation lente du corps et des traits du visage. Refuser le vieillissement revient à refuser la vie, le changement, le déclin et le renouveau. C'est le fantasme de l'individu-mesure de toutes choses qui n'envisage le monde qu'en tant qu'instrument de son expansion, de son désir, de son plaisir, individu triste que le passage du temps mène inexorablement à résipiscence. Lorsqu'il constate que le monde n'est pas à sa disposition et qu'il ne peut arrêter la marche du temps ; quand les crèmes anti-rides et le viagra ne parviennent plus à maintenir l'illusion du temps immobile, des vingt ans éternels, reste toujours l'environnement, le cadre de vie, l'architecture, la langue au maintien desquels, à la perpétuation sans changement desquels il devient plaisant de s'accrocher.

Laissons nos châteaux et nos églises tomber en ruine et nous nous libèrerons d'une illusion lugubre qui nous cause davantage de souffrance que de plaisir, de frustration que d'épanouissement.

Publicité
Publicité
Commentaires
V
Le dalaï-lama est aussi un professeur d'illusions lugubres. On peut se demander par ailleurs quelle est sa légitimité pour s'exprimer au nom des Tibétains.
G
L'individu « mesure de toutes choses » est une source d'hypocrisie politique, je suis bien d'accord. Je veux dire que nous proclamons les Droits humains, mais tant que cela ne nuit pas au commerce.<br />  <br /> Un fait me chiffonne, aussi… Il est de bon ton de ridiculiser le pape (surtout l'actuel), dans certains milieux, et… ce sont les mêmes qui s'agenouillent presque devant le Dalaï-lama ! N'est-il pas une figure des illusions lugubres, lui aussi ?<br />  <br /> (Tes opinions sont tellement idiotes (au sens propre, je précise) que j'ai mis ton blog dans nos Lectures.)
Opinions idiotes
Publicité
Archives
Publicité