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Opinions idiotes
14 avril 2008

A PROPOS DE LA SECURITE SOCIALE ET DE SES SAUVETAGES SUCCESSIFS

Agissons prudemment. Réformons petitement. Démantelons progressivement la Sécurité sociale.

Faire peur aux gens, en leur faisant croire que la situation est catastrophique, que si l'on n'y fait rien la Sécu périclitera. Utiliser l'attachement de la majorité des Français à cet archaïsme crypto-soviétique pour justifier la réduction de la couverture santé. Répéter plusieurs fois l'opération.

Grignoter ainsi lentement le système, jusqu'à ce que l'accroissement progressif de la part des dépenses de santé par les assurés finisse par leur fourrer dans le crâne que l'assurance maladie n'est pas une affaire collective mais un problème de responsabilité individuelle.

Voilà qui peut sembler simplet, c'est pourtant ce qui est à l'oeuvre en France depuis que l'UMP et le PS ont décidé de sauver le pays de la ruine. Et ça marche. Et ça marchera de mieux en mieux.

Dans un système où le coût des dépenses de santé est pour l'individu une part infime, la question de la solidarité ne se pose pas. Il paraît évident que la prise en charge des dépenses de santé doit être socialisée, le cotisant sait qu'il est susceptible de bénéficier du système et se posera finalement assez peu de questions relativement au degré de solidarité qu'il implique. Mais quand la prise en charge collective diminue et que le coût des assurances complémentaires grandit, l'évidence perd de sa force: ai-je vraiment intérêt à cotiser pour les autres si ces cotisations ne m'assurent pas une prise en charge au juste niveau en cas de besoin? Pourquoi payer pour les autres si je dois en plus payer pour moi?

Et les petites réformes de la Sécurité sociale se succèdent. A chaque fois on perd peu mais on perd quand même, en couverture sociale. Et à chaque fois qu'on perd un petit peu plus, on se dit, un petit peu plus, "à quoi ça sert que je cotise pour les autres si les autres cotisent de moins en moins pour moi?" Moi, j'ai 35 ans, je suis célibataire, en bonne santé et je gagne à peu près bien ma vie, si je dois payer de plus en plus de ma poche une assurance complémentaire, pourquoi devrais-je cotiser pour les gamins des autres, pour les maladies des autres, pour le vieillissement des autres? Ce genre de raisonnement n'est pas nouveau, il existe depuis la création de la Sécurité sociale, mais à chaque petite réformette qui diminue un petit peu la couverture santé des Français le nombre de Français qui se tiennent ce discours s'accroît, la capacité de résistance de la société s'affaiblit.

On commence par réduire la part des honoraires prise en charge par la Sécurité sociale, quelques années plus tard on supprime le remboursement d'un euro, viennent ensuite les franchises médicales. Des franchises médicales bien modestes au départ mais qui finiront bien par grandir, lentement mais sûrement. On sauve ainsi la Sécu, en développant l'inquiétude des individus. Or, plus ces individus s'inquièteront de la qualité de la couverture santé proposée par la Sécurité sociale, plus ils s'inquièteront de la capacité de celle-ci à les couvrir convenablement en cas de besoin, et plus ils chercheront des moyens individuels de se protéger contre les accidents de la vie. Ainsi l'on s'habitue lentement à penser l'assurance maladie non plus comme un problème de société et un enjeu politique mais comme un problème de responsabilité individuelle et un enjeu économique. Et plus on envisage la question sous l'angle strictement individuel, plus notre degré de tolérance aux attaques contre la Sécurité sociale augmente.

La Sécurité sociale, aussi bien l'assurance maladie que le régime de retraite, n'est viable sur le long terme que si elle assure à tous une prise en charge maximale, que si elle décharge l'individu de sa responsabilité en ces domaines. Faute de quoi le système se vicie lentement. Car en privant les individus de cette prise en charge on délégitime les cotisations prélevées sur les salaires, donc le système dont elles alimentent le fonctionnement. Certes il est toujours désagréable de payer dans le vide des cotisations mais quand on sait que soi-même on bénéficiera un jour des cotisations d'autrui la chose apparaît acceptable, désagréable mais acceptable, alors que pour celui qui sent qu'il ne touchera jamais rien ou si peu ces cotisations sont tout simplement odieuses, elles sont ressenties non comme un transfert mais comme une privation.

Le sauvetage de la Sécurité sociale n'est pas un problème d'ordre financier mais d'ordre culturel : veut-on vivre dans une société qui tend à promouvoir l'égalité entre les hommes, qui pose que la vie de chaque homme a la même valeur indépendamment de sa situation sociale et professionnelle, qui associe les individus à la société et la société aux individus ainsi que les individus entre eux par un lien de dépendance réciproque et non hiérarchisé? Ou veut-on vivre dans une société qui prend prétexte de la responsabilité individuelle pour justifier les inégalités entre les hommes, qui pose que la satisfaction des caprices des dominants prime la satisfaction des besoins des dominés, partant que la vie humaine a une valeur différenciée selon la place que l'individu occupe dans la hiérarchie sociale, une société qui donne à certains le pouvoir d'assujettir leurs semblables? Veut-on vivre dans un monde libre ou dans un monde autoritaire et régressif où des bandes de voyous en costards-cravates ou en sweats à capuches imposent leurs tyrannies crapoteuses? Veut-on reconstruire le monde qui a conduit à Auschwitz et ainsi donner raison à Jean-Marie Le Pen quand il présente les chambres à gaz où sont morts des millions d'hommes comme un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale?

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