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Opinions idiotes
18 février 2008

Rupture dans les Balkans

L'indépendance du Kosovo désormais établie semble interprétée comme la phase ultime du démembrement de la Yougoslavie socialiste. Ainsi se trouverait close la question nationale en Europe et l'institution de nouveaux Etats consécutifs à l'effondrement du bloc communiste en Europe de l'Est. Pourtant il est manifeste que le cas kosovar se distingue des autres.

En effet si les pays européens issus de l'URSS (Arménie, Biélorussie, Estonie, Géorgie, Lettonie, Lituanie, Moldavie et Ukraine) n'existaient pas en tant qu'Etats indépendants avant 1991 ils n'en constituaient pas moins des républiques et des nations reconnues par l'Etat soviétique au sein de l'Union. Leur autonomie réelle était peut-être très restreinte, ces pays étaient tout de même des Etats dotés d'une constitution, d'un gouvernement, d'un parlement, d'une administration, d'une justice, etc. Il en est de même pour les Républiques tchèque et slovaque issues de l'éclatement de la Tchécoslovaquie.

La République fédérale socialiste de Yougoslavie constituée après la Seconde Guerre mondiale comptait 6 républiques (Bosnie, Croatie, Macédoine, Montenegro, Serbie et Slovénie) disposant d'institutions étatiques autonomes (ou réputées telles) ainsi que du droit à l'autodétermination. La constitution yougoslave accordait donc aux 6 républiques fédérées la possibilité de quitter la fédération pour se constituer en Etat national souverain. Certes lorsque la République slovène utilisa ce droit et proclama son indépendance l'armée fédérale yougoslave intervint dans l'espoir de maintenir de force l'intégrité territoriale de la Yougoslavie: finalement la pression des puissances occidentales, notamment celle de l'Allemagne, contraignit les dirigeants et l'armée yougoslaves à reconnaître l'indépendance du nouvel Etat. Ce droit à l'autodétermination des républiques yougoslaves (mais aussi soviétiques et tchécoslovaques) était donc purement formel, ce qui n'empêche qu'il constituait une base juridique puisque inscrit dans la constitution d'un Etat souverain.

Si le droit des peuples à disposer des peuples a servi de fondement au démembrement des empires de l'Europe centrale après la Première Guerre mondiale, celui-ci est restreint par le principe de l'intangibilité des frontières. Le cas de l'accession à l'indépendance des républiques soviétiques, tchécoslovaques et yougoslaves au début des années 90 illustre ces deux principes. Ainsi la Slovénie n'était pas reconnue en tant qu'Etat au plan international: sa constitution en Etat indépendant attentant à l'intégrité territoriale on aurai pu considérer qu'elle violait le principe d'intangibilité, ce qui potentiellement l'invalider au niveau international. Mais à partir du moment où la constitution yougoslave elle-même reconnaissait le droit à la Slovénie d'accéder à l'indépendance, l'argument de l'intangibilité devenait irrecevable, l'Etat yougoslave acceptant explicitement la possibilité que ses frontières internationales soient remises en cause et modifiées par ces Etats fédérés. Dans les cas yougoslaves, soviétiques et tchécoslovaques le principe d'intangibilité des frontières s'appliquait de fait non aux Etats souverains reconnus internationalement mais à leurs Etats fédérés. C'est la raison pour laquelle la "communauté internationale" refuse a priori toute indépendance de la Republika srpska de Bosnie, qui n'est qu'une "entité" de la Bosnie-Herzégovine, considérée comme une région autonome de l'Etat bosnien, même si ce dernier n'existe que sur le papier.

Jusqu'à présent les Etats souverains apparus après la chute du Mur pouvaient concilier droit à l'autodétermination et principe d'intangibilité au plan international. Le cas kosovar est tout autre. En effet le Kosovo n'a jamais eu d'existence étatique au sein de la Yougoslavie, tout juste celle de province autonome de la République de Serbie. Une province autonome n'est pas une république fédérée : la seconde est un Etat à part entière au sein de la fédération, la première n'est que la subdivision administrative d'un Etat à laquelle celui-ci concède l'usage d'une partie de ses prérogatives. Aucun argument constitutionnel ne peut sérieusement étayer l'indépendance kosovare. Cela est d'autant plus vrai que la constitution serbe interdit purement et simplement à la province du Kosovo de se proclamer indépendante.

La déclaration d'indépendance du Kosovo entérine la volonté du peuple albanais qui y réside et son droit à l'autodétermination mais viole à l'évidence le principe d'intangibilité des frontières puisque le Kosovo n'a aucun droit constitutionnel à l'indépendance en tant que province serbe. Nous sommes donc bien en présence d'une rupture historique avec la période qui a débuté en 1991 avec l'accession à l'indépendance des républiques soviétiques et s'est close en 2005 avec les indépendances monténégrine et serbe (qui étaient encore unies au sein d'une fédération post-yougoslave), lesquelles conciliaient les deux principes de la liberté des peuples et de l'intégrité des Etats.

La décision des puissances occidentales de reconnaître l'indépendance kosovare ne peut être interprétée autrement que comme l'abolition du principe d'intangibilité des frontières et comme un retour aux principes wilsoniens qui place le droit des nationalités au-dessus des Etats institués. C'est bel et bien une révolution qui se déroule en ce moment en Europe, une révolution qui n'annonce rien de bon pour l'avenir. N'en déplaise aux candides qui veulent croire que le coup de force des albano-kosovars soutenus par les puissances occidentales restera un cas particulier, il n'en reste pas moins que dorénavant plus aucun argument ne pèsera lorsque une province voudra accéder à l'indépendance de sa propre volonté, voire lorsque un Etat remettra en cause ses frontières internationales. On ne peut pas balayer la souveraineté serbe et l'intégrité de ses frontières sans que cela n'ait un jour des conséquences dans d'autres pays européens.

Si la souveraineté serbe ne vaut rien devant la volonté des Albanais du Kosovo, au nom de quoi les Serbes de Bosnie devraient-ils respecter la souveraineté bosnienne ? Quel argument leur opposera-t-on le jour où le gouvernement bosno-serbe annoncera l'organisation d'un référendum d'auto-détermination ? Quid de la République turque du nord de Chypre auto-proclamée ? De l'Abkhazie en Géorgie ? Ou du pays basque en Espagne ?

C'est tout l'équilibre des frontières construites à l'issue des deux conflits mondiaux en Europe que les puissances occidentales vient de remettre en cause...Souhaitons que les peuples européens soient plus sages que les dirigeants.

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