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Opinions idiotes
22 février 2008

Les oripeaux de la démocratie européenne

Un Georges Washington pour l'Europe, demande Valéry Giscard d'Estaing aux chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne qui devront désigner cette année le premier président du Conseil européen. L'ancien président de la République apprécie les belles phrases et les grands mots. Il avait présidé la Convention européenne chargée de rédiger une constitution pour l'Europe; et déjà il aimait à comparer l'institution et l'oeuvre en cours à leurs précédents états-uniens.

Giscard, en bon Européen, aime les grands discours sur la démocratie et la comparaison avec la naissance des Etats-Unis d'Amérique. Il oublie (les Européens ont la mémoire courte et sélective) que la Convention américaine fut élue au suffrage universel, contrairement aux autoproclamés conventionnels européens désignés par les parlementaires des Etats membres sans qu'aucun débat public ait eu lieu et bien sûr sans que la populace eût jamais son mot à dire. De même qu'il paraissait d'évidence que la ratification du torchon constitutionnel européen serait expédiée en catimini par les gentils parlementaires, ceux-là mêmes qui avaient désignés les conventionnels, il était naturel que seules les grandes personnes, informées et compétentes comme seuls les parlementaires peuvent l'être, désignassent les hommes nés pour donner à l'Europe sa première constitution: moment historique qui ne concerne pas la vile populace.

L'histoire est l'affaire des maîtres et non des serviteurs. C'est la seule conclusion qui ressort du processus constitutionnel européen tel qu'il a été voulu par les gouvernants de toute l'Europe, qui aiment surtout la démocratie comme produit à vendre aux Chinois ou aux Libyens...

Il faut donc un Georges Washington pour l'Europe. Qu'il n'est pas question d'élire au suffrage universel. Mais comme on est bonhomme du côté de Chamalières on propose "d'associer l'opinion publique" à la grande affaire. Voilà qui fait plaisir. Comme chacun sait, parmi les gens qui savent, l'élection au suffrage universel est un moment d'odieux populisme à l'occasion duquel les serviteurs donnent libre cours à leurs instincts pervers (genre "on travaille trop", "le coût de la vie est prohibitif", "on est mal payé" et diverses élucubrations toutes plus désespérantes les unes que les autres). L'Europe est une question trop sérieuse pour en abandonner la charge à des cervelles de moineaux qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs 8 euros de l'heure.

Mieux vaut "associer l'opinion publique" à la prise de décision que demander au peuple de trancher, c'est moins dangereux, pour le bien de l'Europe et donc de la vile populace. L'inconvénient avec le peuple c'est qu'il est vivant: le peuple est constitué d'individus dotés de l'égalité civique qu'on appelle citoyens. Cela pose un grave problème d'intelligence collective puisque pour une grande personne on compte mille moineaux, pour un maître mille serviteurs. Les citoyens jouissant tous d'une seule voix, indépendamment de leur qualité, les serviteurs pèsent mille fois plus que les maîtres, qui sont les seuls aptes à prendre des décisions raisonnées dans l'intérêt de tous.

Le peuple peut exprimer clairement son choix, il peut voter oui ou non lors d'un référendum, il peut voter Sarkozy ou Royal. Au bout du compte ça ne change pas grand chose, évidemment: si le peuple vote non au référendum on peut toujours s'arranger pour repasser l'affaire d'une autre manière, s'il vote Sarkozy ou Royal il continuera d'en prendre plein la gueule. Mais ça donne mauvais genre, comme si la démocratie libérale n'était qu'un décor hollywoodien ou un écran de fumée, et ça peut énerver les hordes populacières qui pourraient se mettre à penser qu'une action un peu plus directe serait plus à même de permettre à leurs intérêts, leurs désirs d'être défendus, de se concrétiser.

L'opinion publique, on lui fait dire ce qu'on veut bien qu'elle dise. L'opinion publique ne vote pas, on la sonde de sorte qu'elle en vient à dire l'inverse de ce que déciderait le peuple, entre autre. L'opinion publique est bien pratique et bien gentille, elle est bien élevée, polie. C'est quand même autre chose qu'un peuple abruti par la bière.


Les Européens me fascinent. Sans cesse ils geignent : "on ne parle pas des enjeux européens", "la politique est exclusivement centrée autour de l'arène nationale", etc. Ils sont malheureux, les Européens, parce que la populace ne s'intéresse pas à la grande affaire, la seule qui vaille, la seule qui compte. Ils en veulent au manque de courage des politiciens qui n'osent assumer devant leur peuple les décisions qu'ils prennent en conclave à Bruxelles, à l'abri de procédures savamment compliquées. Le populiste s'étonnera du contraire: que les gouvernants ne votent pas à Bruxelles en accord avec les positions qu'ils défendent devant les électeurs. Mais le populiste est méchant et bête, il n'arrivera jamais à comprendre qu'il faut faciliter les licenciements pour faire baisser le chômage, maintenir à un bas niveau les salaire minimum pour que les salaires augmentent, réduire les remboursements pour sauver la Sécurité sociale, etc. Contrairement aux ministres et députés qui le savent en gens qui savent qu'ils sont mais qui se dégonflent devant la populace abêtie.

Pourtant il existerait un moyen d'impliquer la populace dans l'affaire, de lui faire sentir l'importance des enjeux européens: élire au suffrage universel le président du Conseil européen, substituer au commissaire au commerce qui négocie à l'Organisation mondiale du commerce sans avoir reçu aucun mandat ni rendre de comptes auprès de la fameuse opinion publique (qu'il n'est plus utile d'"associer" sans doute) un haut-représentant au commerce élu au suffrage universel, etc. Le jour où de telles élections seront organisées il faudra bien que la vile populace s'intéresse à la chose, débatte dans un cadre européen.

Bizarrement ce genre d'idées ne semble pas venir à l'esprit des grands Européens qui soupirent fort après la naissance d'un vrai et grand débat public européen.


La démocratie c'est le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple, nous dit la constitution américaine.

La démocratie c'est le gouvernement du peuple par les gens qui savent pour les maîtres, nous dit la "constitution" européenne.

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