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Opinions idiotes
16 mars 2008

LE BUZZANCENOT

Quand je pense à Fernande

Moi, je ne pense jamais ou presque, comme le commissaire Maigret. Par contre j'entends ou je lis, et quand j'entends ou lis le mot buzz s'imprime en ma conscience, je n'ose dire je pense, encore moins je b****, s'imprime le mot Besancenot. Buzzancenot, cette association d'idées me fait vaguement rigoler. Le buzz, ça n'est que la rumeur, le bruit médiatique de tel ou tel événement sans grand intérêt, un mot comme il faut pour dire bouche à oreille, sauf que ça fait plus actuel, dans le mouvement : dans le courant d'air. Le buzz c'est du bouche à oreille sans bouche ni oreille mais avec des gens professionnels payés pour faire comme si. Une onomatopée comme un tue-mouches, voilà le buzz.

Olivier Besancenot me fait le même effet. Non que je lui reproche d'être un faux révolutionnaire; je crois franchement qu'il en est un vrai. (A titre personnel je préfère encore les faux révolutionnaires.) Besancenot et son orchestre me donnent l'impression d'être des marchands de courants d'air. Les professionnels du buzz font passer dans les courants de l'air du temps ce qui relève de stratégies économiques d'enrichissement privé : on croit être dans le coup, branché, hype, etc. quand on est qu'une dupe. Avec le buzzancenot c'est pareil, la lutte faisant office de courant d'air, la dénonciation des injustices avec : on s'imagine bêtement qu'on agit contre la barbarie capitaliste quand on est que la dupe de vieilleries encore plus dégueulasses que le capitalisme.

Un exemple concret de buzzancenot : le pouvoir d'achat des employés smicards ou à peine au-dessus du SMIC. On dénonce véhémentement les salaires trop bas et les méchants patrons. Les patrons et les capitalistes sont des salopards, des voyous et des mafieux couverts par la loi républicaine et européenne ; ils se remplissent les poches en exploitant la misère du monde, ils mutilent et tuent tant que rien ne s'oppose à eux (genre syndicats, un truc un peu plus efficace que l'Etat, même si le mieux est que ces deux-là se préoccupent également et conjointement de la sécurité et de la santé des travailleurs) : avec les trafiquants de drogues, les marchands d'armes et les souteneurs il saute dangereusement aux yeux que les patrons et les capitalistes forment la pire engeance qui soit sur la Terre. Cela étant, il ne suffit point de dénoncer les méchants pour être soi-même gentil : les nazis vilipendaient (et tuaient carrément) les bolcheviks, lesquels se distinguaient assez nettement par leur méchanceté à l'endroit du genre humain, ce qui ne faisait pas pour autant des SS Tête de mort des gens gentils.

Les patrons sont des salops et des voleurs. Ils se refusent à payer les petits employés correctement. Ainsi les entreprises de la grande distribution gagnent beaucoup de jolis euros grâce aux gentils consommateurs. Aussi grâce aux gentils employés. Pourtant les gentils patrons s’opiniâtrent et envoient bouler, avec le soutien de Monsieur le préfet et des Compagnies Républicaines de Sécurité, les vilains employés qui font grève afin de grappiller quelques-uns des jolis euros que les gentils consommateurs abandonnent nonchalamment aux gentilles hôtesses. Ils veulent des sous, les employés, elles veulent des sous, les méchantes hôtesses, ce que Besancenot et son orchestre comprennent très bien, aussi soutiennent-ils les légitimes luttes salariales dans toute la France et jusque sur les plateaux de télévision, les émissions de radio, les colonnes des journaux à grand coup de lattes verbales à propos du pouvoir d’achat tout rabougri des ouvriers et des employés et des fonctionnaires. Moi aussi je soutiens les grévistes en lutte pour obtenir de meilleurs salaires, seulement, moi et mon auguste personne ne promouvons pas par ailleurs la décroissance non plus que nous ne récriminons contre la société de consommation.

Peut-on défendre dans les médias le pouvoir d’achat des classes populaires (qui constituent d’ailleurs un ensemble assez flou) et proposer dans les meetings, entre militants, de réduire la consommation à la seule satisfaction des besoins ? Si les ouvriers et les employés et les fonctionnaires luttaient pour leur survie, s’ils exigeaient de meilleures rétributions afin de se nourrir, de se loger, de se vêtir et de se soigner, il n’y aurait pas d’incohérence dans les discours et je n’irai pas dire que le facteur pratique le double langage, à la manière des sectes. Toutefois, le fait est que le trouble grandissant des catégories de salariés susdites ne provient pas d’une disette : nous ne sommes pas dans l’Amérique ouvrière et paysanne des années 30, où les gens crevaient quasiment de faim. Les smicards de la France actuelle ne vivent pas dans la misère, pas plus les fonctionnaires ou les ouvriers. Ce qui cause la souffrance et la frustration de ces classes sociales c’est essentiellement de ne pouvoir accéder à la consommation, c’est de n’être pas en capacité financière de s’adonner frénétiquement au shopping. Les hôtesses de caisse et les autres employés de chez Carrefour défendent certes leur bifteck quand ils se battent pour de meilleurs salaires mais ‘défendre son bifteck’ ne signifie pas simplement s’assurer des revenus suffisants pour satisfaire ses besoins : cela signifie gagner plus que ce qui est nécessaire à cette satisfaction élémentaire, cela signifie pouvoir s’acheter 50 paires de godasses pour l’hiver et 50 autres pour l’été, ce qui implique de pouvoir s’acheter des meubles range-chaussures donc de disposer d’un logement spacieux, etc., tout ça coûtant de l’argent ; cela signifie pouvoir partir en séjour aux Canaries et faire du ski en hiver ; cela signifie avoir un grand écran plat dans la salle de séjour et des télés dans toutes les chambres ainsi que dans la cuisine, avoir au moins un ordinateur voire en acheter un à ses enfants en plus de l’ordinateur familial ; cela signifie pouvoir consommer des biens et des services comme des loisirs.

Tous ces ouvriers que Besancenot prétend défendre luttent pour jouir des agréments de la société de consommation, ils luttent pour maintenir leur place dans la civilisation consumériste, une place active qu’ils ont acquise depuis les événements de Mai 68. De la même manière que les ouvriers en grève de Mai 68 rêvaient de pénétrer de plain pied dans la société de consommation alors que les étudiants grévistes aspiraient eux à la détruire, de la même manière Besancenot prône un modèle de société qui est incompatible, et même opposé, avec la volonté politique des classes populaires « en lutte ». Telle incompatibilité n’est pas en elle-même problématique, pour autant qu’on ne dit pas à ces classes en lutte ce qu’elles ont envie d’entendre (pouvoir consommer comme un cadre ou un ingénieur par exemple sans être soumis à une sobriété contrainte par manque d’argent) alors qu’on préconise, hors la présence des caméras et des micros, l’établissement d’un système économique et social dont la fin est de répondre aux besoins des hommes en éliminant le superflu, le luxe même frelaté qu’on assimile à du gaspillage. A quoi servira-t-il aux smicards d’être mieux payés s’il n’y a plus rien à consommer ? A quoi sert-il de faire croire aux smicards qu’on défend leurs revendications salariales quand la vie frugale, rudimentaire d’un smicard actuel correspond à ce que serait le niveau de vie de tous dans une économie des besoins et une société de décroissance ?

Certes on pourra objecter que le projet défendu par la LCR n’est pas caché, que ces classes sociales peuvent très bien s’en informer. Mais on oblitère alors la réalité, qui est que très peu de gens se renseignent directement des projets politiques des partis : la majorité des gens font confiance à la presse aux médias, et même si leur confiance est limitée c’est par le biais de la presse et des médias que l’immense majorité des gens s’informent. De fait, personne ne lit ni les programmes ni la prose politique, hormis les professionnels qu’on appelle journalistes et dont le devoir en démocratie est d’apporter aux citoyens des informations leur permettent de former un jugement raisonné. De fait si les médias se contentent de servir la soupe aux acteurs du débat politique l’immense majorité des gens, en fait tout le monde, se contentera de la soupe. Et ça, les Besancenot et les Krivine le savent pertinemment, ils en jouent, avec cynisme, en bons militants trotskistes.

Un mouvement politique qui utilise l’ignorance du peuple pour gagner en influence, comment le qualifie-t-on ?

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